[Souvenir] Course poursuite nocturne
- Yoan Schumacher
- 25 sept. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 nov. 2020
Voici le premier épisode d'une série de souvenirs que j'aimerais partager avec toi, bonne lecture !

Un soir après avoir mangé une pizza avec mes parents, je décide de prendre mon appareil photo pour aller réaliser quelques clichés dans la ville. J’avais remarqué quelques jours plus tôt qu’un immeuble, la « Banane » comme on la surnommait, était sur le point d’être démolie. En cette soirée brumeuse, l’atmosphère est digne d’une scène du clip Thriller, de Michael Jackson… Quelques réverbères baignent la scène dans une lueur orangée, pesante, presque lugubre.
Debout au milieu de la rue déserte, je sors mon trépied et mon appareil.
À l’écran, la scène est comme je l’avais imaginée, les ombres des fenêtres ouvraient vers des abîmes insondables, la chaussée brillait comme des braises ardentes, les arbres dressaient leurs cimes au milieu de nuages menaçants. Encore quelques ajustements et je pourrai capturer mon premier instantané. J’avais découvert depuis peu la technique de la « pause longue » qui consiste à laisser le capteur de l’appareil photo ouvert durant plusieurs secondes pour capturer plus de lumière.
J’allais appuyer sur le déclencheur quand les phares d’une voiture garée quelques mètres plus loin s’allument soudainement.
« Étrange, je n’ai vu personne y entrer depuis que je suis arrivé. »
Mon instinct me dicte alors de remballer mon matériel et de partir.
Je tourne le dos à la voiture, derrière moi, un bruit de portière, puis deux, puis trois. Je me retourne, trois silhouettes jaillissent de la pénombre du parking.
« Eh toi là bas, arrête toi ! »
Mon sang ne fait qu’un tour, j’ignore à qui j’ai affaire, je suis seul dans une rue avec trois inconnus dont j’ignore les intentions…
« Quoi qu’il arrive, je dois partir dans une zone où on pourra me voir. »
Ignorant l’ordre de mon interlocuteur, je décide d’accélérer le pas. Je me retourne, ils sont en train de courir !
« Rejoindre la lumière, la route, les voitures, et vite ! » 200 mètres me séparent du boulevard principal où, je l’espère, je pourrai alerter quelqu’un et me mettre en sécurité.
Je me lance alors dans ce que j’appelle à ce jour encore, ma plus belle course de demi-fond.
Ma sacoche d’appareil sous le bras, le trépied dans l’autre main, j’accélère subitement pour me faufiler entre un immeuble et une haie. J’espère les avoir pris de vitesse mais je constate que mon assaillant ne se tient qu’à une dizaine de mètres de moi et semble gagner du terrain. J’imagine alors ce qu’il pourrait m’arriver s’il parvenait à me rattraper, je serai probablement projeté au sol par une balayette magistrale, me brisant une cote sur le boitier de mon appareil photo, puis on me frapperait peut être, ils repartiraient sans doute avec mes affaires ou pire encore…
Pas le temps de m’imaginer la suite, une poussée d’adrénaline me fait redoubler d’effort. Malgré le diner qu’il me restait à digérer, tout mon corps semblait propulsé à sa vitesse maximale. J’ai choisi la trajectoire la plus courte, un petit chemin de terre battue entre l’école primaire et le quartier d’habitation.
L’écart s’accroit, les ombres de deux hommes zèbrent les façades des immeubles d’habitation, « j’y suis presque ! » Je me félicite d’avoir participé aux cours d’EPS, si mon professeur avait été là, il aurait probablement salué ma performance.
Plus que quelques enjambées et j’atteindrais le boulevard avec, je l’espère, un automobiliste pour me secourir.
Je déboule sur le carrefour où l’éclairage est bien plus puissant, je cherche alors désespérément une voiture ou une habitation où m’abriter mais il n’y a personne, tout le monde semble dormir et la route est déserte. Enfin non, pas tout à fait déserte.
Mes deux poursuivants sont rattrapés par la voiture conduite par le dernier, vrombissante, qui les dépasse et s’approche à vive allure. Me voilà bien… J’offre un terrain de chasse idéal, je me sens comme un lapin au milieu d’une horde de chasseurs...
Balayant mon regard à la recherche d’une issue, j’ordonne à mes jambes de garder le rythme, me voilà maintenant au niveau du rond point, toujours désert. J’aperçois un passage étroit entre deux maisons, le bruit de moteur est de plus en plus fort, je n’ose pas me retourner. « Je vais finir emplafonné comme une crêpe bretonne !!! »
Avec l’énergie du désespoir, je parviens à pénétrer dans le passage, la voiture n’est plus qu’à quelques mètres de moi, j’entends ses pneus crisser sur le bitume. Je me retourne et constate qu’elle s’est arrêtée. Le passage mène sur un parking désaffecté, des herbes sortent du sol à intervalles régulières.
« Où sont les deux autres ? Vont-ils me suivre jusqu’ici ?
À peine ai-je eu le temps de me poser la question que des pas résonnent entre les parois de béton que je viens de longer.
« Merde ! »
Mon coeur bat à tout rompre, mes jambes me brulent et je commence à maudire cette soirée. Ils sont 3 et ont une voiture, si les deux coureurs sont endurants, ils risquent de me rattraper rapidement. Je m’imagine à nouveau gisant au sol, entouré de ces ombres, vulnérable.
« Not today ! »
Je sais où je suis ! Et je sais qu’un ami à moi habite à moins d’un kilomètre d’ici.
Toujours en courant comme un dératé, je sors mon téléphone de ma poche et appuie sur son nom dans le journal des contacts. Une éternité semble séparer chaque bip sonore...
« Réponds, allez réponds ! »
Juste avant la dernière tonalité, il décroche ! Je lui explique brièvement, il me confirme que la porte sera ouverte et qu’il m’attend. Il me reste alors à traverser l’un des lotissements les plus pentus de la ville, tout ça avec ma pizza dans le ventre et mon matos dans mes bras. Une voie de chemin de fer traverse le pâté de maison mais il me semble suicidaire de courir de nuit sur le ballast et les traverses de bois, je n’ai d’autre choix que de suivre les ruelles. Chaque seconde je m’attends à voir surgir les phares de la voiture. Je ne vois personne dans mon dos, ce qui rend la situation encore plus angoissante.
« Peut être qu’ils ont lâché l’affaire... »
Combien de temps s’est-il écoulé le début de cette mésaventure ? Une ? Deux ? Dix minutes ?
Impossible à dire… Je n’ai qu’une chose en tête, franchir cette porte !
J’aperçois la maison, en haut de la rue, j’en devine le portail.
« Et s’ils me voient rentrer ici ? Je ne veux pas lui attirer d’ennuis ! »
Trop tard pour changer de plan, j’arrive aux abords du portillon que j’ouvre et referme précipitamment. Mon ami est là, l’air inquiet, il me fait signe de rentrer.
Enfin en sécurité ! La chaleur de la pièce est réconfortante, mon dos est en sueur et mes muscles tressaillent, je m’assois. Je jette un regard par la fenêtre, personne. Il m’apporte un verre d’eau puis nous nous dirigeons vers le salon où je lui raconte ce qu’il vient de m’arriver.
De temps à autre nous surveillons la rue dehors, faiblement éclairée, il semble qu’ils aient rebroussé chemin. Intérieurement, je suis fier d’avoir été aussi rapide, d’avoir tenue tête à ces hommes de l’ombre. Je me sens comme le héros de ces romans d’aventure qu’il me plaît à lire dans la cour de récréation.
Nous attendons une heure, le temps de regarder un épisode de Southpark et d’échanger quelques vannes. Je lui propose de laisser l’appareil photo chez lui et de venir le récupérer le lendemain.
Nous nous souhaitons bonne nuit sur le pas de la porte. Le ciel est dégagé, malgré la pollution lumineuse, je distingue quelques étoiles. Tout est calme. Je marche vers ma maison, je ne suis qu’à 10 minutes de chez moi, il suffit de sortir du lotissement et de remonter par la route de l’ancienne menuiserie. Au début craintif, je baisse la garde et commence à me remémorer les événements.
« Quelle histoire, quand je vais raconter ça aux copains, il ne vont pas en croire leurs oreilles ! »
Peut être que je n’aurai pas du sortir aussi tard, et surtout seul. Je n’ai pas vraiment compris pourquoi ces hommes ont décidé de me courir après.
Dernière ligne droite avant la maison, je passe sous le pont où passait naguère le train reliant la Ferté Macé à Bagnoles de l’Orne. Je pense à la douche qui m’attend à la maison, à mes parents qui sont peut être inquiets… La lune est là, paisible, on entend au loin le chant d’un hibou et le bruit d’une voiture qui se rapproche.
J’ignore l’heure, il est peut être minuit ou même plus, je sens que des courbatures commencent à apparaître dans mes mollets. Je pense à mon lit, cela me fait sourire je me dit que cette soirée restera gravée dans ma mémoire.
Je reviens au présent, un véhicule vient de s’arrêter au travers de la route, les portières s’ouvrent, deux hommes sortent et courent dans ma direction.
La douche attendra.
- Fin -
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